PAZ (O.)

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Parmi la pléiade d’auteurs qui, depuis plus d’un demi-siècle, ont fait entendre la voix de l’Amérique latine, Octavio Paz se distingue non seulement par l’abondance et la qualité de son œuvre, mais aussi par l’autorité de sa pensée dans les domaines les plus divers, ainsi que le courage avec lequel il a toujours défendu la liberté et la dignité humaines. L’Académie de Suède lui a décerné le prix Nobel de littérature, le 11 octobre 1990.

«Il y a de la lumière...»

Octavio Paz est né le 31 mars 1914 à Mexico. Son père, avocat et journaliste, avait été, pendant la révolution mexicaine, le conseiller d’Emiliano Zapata, promoteur de la réforme agraire. Sa mère appartenait à une famille andalouse. Après de premières études aux États-Unis, Paz étudie le droit au Mexique. Adolescent, il s’intéresse à la littérature, fonde une revue, publie un premier livre de poèmes, Luna silvestre , devient bientôt le directeur des Cuadernos del Valle de México . En 1937, il publie encore des poèmes, Raíz del hombre (Racine de l’homme ) et Bajo tu sombra clara (Sous ton ombre claire ). Pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), il assiste au Congrès international d’écrivains antifascistes à Madrid. Il y rencontre Pablo Neruda, César Vallejo, Vicente Huidobro, Miguel Hernández, Rafael Alberti, Luis Cernuda. En 1938, il fonde à Mexico la revue Taller , afin de promouvoir un renouveau poétique, et s’engage dans une activité politique.

Lié à Benjamin Péret, Octavio Paz se rapproche du surréalisme, dont il retiendra davantage le projet de «révélation» que celui de «révolution». Un séjour aux États-Unis lui permet de connaître W. C. Williams, R. Frost, E. E. Cummings, J. Guillén. Il découvre Yeats. Entré dans la diplomatie en 1945, il est secrétaire d’ambassade à Paris de 1946 à 1951. Il y fait la connaissance d’Alejo Carpentier et d’André Breton. El Laberinto de la soledad (Le Labyrinthe de la solitude , 1950), analyse de l’âme mexicaine, obtient un vif succès. Aguila o Sol? (Aigle ou Soleil? , 1951) porte la marque du surréalisme dont il va s’écarter. Attiré par l’Orient, dont l’influence sur lui sera profonde, Paz voyage en Inde et au Japon. De retour au Mexique, en 1955, il publie El Arco y la lira (L’Arc et la lyre ), essai sur la poésie. Il crée un groupe de théâtre qui jouera sa pièce, La Fille de Rappaccini , tirée d’un conte de Nathaniel Hawthorne. Piedra de sol (Pierre de soleil ) paraît en 1957; Benjamin Péret en sera le traducteur français. Après un nouveau séjour à Paris de 1959 à 1962, Paz est nommé ambassadeur à New Delhi. L’art, la politique, la philosophie, les religions lui inspirent de nombreux essais. En 1968, il démissionne avec éclat de son poste pour protester contre les massacres d’étudiants à Tlatelolco. Il devient professeur aux États-Unis et en Angleterre. Revenu au Mexique en 1971, il fonde la revue Plural . Chargé des célèbres conférences Charles Eliot Norton à l’université Harvard, il expose la matière de ce qui sera Los Hijos del limo (Point de convergence ), touchant l’art poétique. Reconnu comme un maître à penser dans son pays, célèbre à l’étranger, Octavio Paz, après 1971, publie de multiples livres d’essais ou de poésie, et prend part très activement à la vie culturelle ou politique du Mexique. En 1976, il refuse l’ingérence gouvernementale dans la revue Plural , démissionne et fonde peu après une autre revue, Vuelta , où se rassemblent beaucoup d’écrivains anticonformistes, opposés notamment aux dictatures d’Amérique latine.

«La poésie, centre secret de la vraie vie»

Après César Vallejo et Pablo Neruda, Octavio Paz est reconnu comme le plus grand poète de l’Amérique de langue espagnole. Si son influence y est grande, elle n’est pas moins sensible en Espagne. Partant de Quevedo, et non de Góngora, à la différence des poètes espagnols de la génération de 1927, la poésie polyphonique de Paz recueille aussi l’écho des plus grands poètes modernes, de Baudelaire à T. S. Eliot, tout comme elle reflète les œuvres d’artistes tels que Marcel Duchamp ou Jacques Villon. Les courants les plus variés de l’histoire, de l’anthropologie, des religions occidentales ou du tantrisme tibétain confluent dans son inspiration pour composer une sorte de cosmogonie originale, source ou lieu de connaissance autant que de découvertes ou d’émerveillements. En tout, le langage est premier. Plus que la réflexion ou la raison, ce sont les battements du cœur qui confèrent au verbe poétique ses rythmes et son pouvoir de révélation. Dans Raíz del hombre (Racine de l’homme , 1937), Bajo tu clara sombra (Sous ton ombre claire , 1937) et A la orilla del mundo (En marge du monde , 1942), les séductions de l’hermétisme ou de l’ésotérisme prennent le pas sur les préoccupations politiques ou sociales. Aguila o Sol? (Aigle ou Soleil? , 1951) met en jeu à la fois une quête métaphysique et l’exploration du substrat indien. Libertad bajo palabra (Liberté sur parole ) contient des poèmes écrits de 1935 à 1957, dans un ordre bouleversé, à l’instar de l’ordre poétique qui par essence est subversif. Piedra de sol (Pierre de soleil , 1957), où prend figure une totale vision du monde, compte autant de vers (584) que le calendrier aztèque compte d’années. Dans La Estación violenta (La Saison violente , 1958), des influences hétéroclites (Sor Juana Inés de la Cruz, José Gorostiza, Nerval, Apollinaire, Valéry) laissent prévaloir l’aspect proprement mexicain d’une représentation assez noire de l’univers. Salamandra (Salamandre , 1962) reprend des poèmes écrits de 1958 à 1961. Au prix d’obscurités que rachète l’éclat des images, le langage est forcé dans ses ultimes possibilités. Les mots, les métaphores, les illuminations éclatent en une fête de paroles et de vertiges «fixés» où prédomine l’irrationnel. La mythologie mexicaine s’exalte dans «Salamandre»: la régénération par le feu informe aussi la légende de Quetzalcóatl ou de Xólotl explorant l’empire souterrain, afin de recréer une autre race humaine. D’autres poèmes élèvent une protestation cinglante contre l’injustice, la sottise ou la violence des civilisations modernes. Dans Ladera este (Versant est , 1969), l’influence des spiritualités orientales rejoint celle du structuralisme, ou de la linguistique, pour donner la prééminence à l’acte même de l’écriture sur les passions ou sur l’inspiration. La typographie même participe de cette délivrance: le poème Blanco (Blanc , 1967), composé de quatre parties, disposées chacune sur deux colonnes, permet une pluralité de lectures laissant au regard le soin de déchiffrer ou de chiffrer le code. Pasado en claro (Mise au net , 1975) est une superbe célébration du langage, fondement du réel. Cette composition de six cent soixante-six vers, qui débouche sur la clarté des suprêmes réalités, s’achève sur un cri de triomphe de l’être délivré de son apparence. Árbol adentro (L’arbre parle , 1987), chante, dans une pleine maîtrise du langage, le temps, la vie, la mort, l’art et l’amour.

«L’enchevêtrement des cultures...»

Essayiste lucide et profond, Octavio Paz s’intéresse autant aux thèmes historiques qu’à la peinture, à l’esthétique, à la morale ou à la philosophie. Mais le Mexique demeure pour lui une référence majeure. El Laberinto de la soledad (Le Labyrinthe de la solitude , 1950) propose à la fois «une vision, mais aussi une révision du Mexique». «Le Mexicain n’est pas une essence, mais une histoire.» Cette réflexion guide toute l’analyse de l’homme du Mexique: sa quête d’identité; ses attitudes ou ses masques; sa célébration stérile de la mort; son héritage précolombien. Devenus enfin «contemporains de tous les hommes», les Mexicains partagent avec eux ce «fond ultime de la condition humaine», la solitude. Cet examen critique, impitoyable et passionné, est placé sous le signe du Labyrinthe, enceinte du centre sacré que symbolisent Rome, Jérusalem ou La Mecque, ces grands sanctuaires de l’humanité. Posdata (Critique de la pyramide , 1969) prolonge ce superbe «exercice d’imagination critique», en s’attachant à révéler les causes de l’«inaptitude à la démocratie» qui, selon l’auteur, est une des plus graves carences de son pays. El Arco y la lira (L’Arc et la lyre , 1956) tente une double approche du phénomène poétique, du point de vue stylistique et du point de vue de «l’hétérogénéité de l’être», selon l’expression d’Antonio Machado, qui s’y manifeste dans les contenus. Las Peras del olmo (Les Poires de l’orme ) comprend notamment une excellente étude sur Sor Juana Inés de la Cruz, religieuse et poétesse mexicaine du XVIIe siècle à qui Paz a consacré plus tard un de ses plus grands livres: Sor Juana Inés de la Cruz o las trampas de la fe (Sor Juana Inés de la Cruz, ou les Pièges de la foi , 1982). Outre Claude Lévi-Strauss ou Marcel Duchamp qui firent chacun l’objet d’un livre, mille autres sujets sollicitent l’attention d’Octavio Paz. Ils sont traités dans des ouvrages d’essais variés: Conjunciones y disyunciones (Conjonctions et disjonctions , 1969), El Ogro filantrópico (L’Ogre philanthropique , 1979), Inmediaciones (1979)... Un voyage à Galta, ville en ruine du R jasth n, fournit le texte et le prétexte de El Mono gramático (Le Singe grammairien , 1974) où l’écriture et la lecture sont le double métaphorique du chemin et du pèlerinage. Dans Sombras de obras (Ombres d’œuvres , 1983), Hombres en su tiempo (Hommes en leur temps ) ou Primeras Letras (Premières Lettres , 1988) se poursuit ainsi l’exploration conjointe du monde et de ses signes.

De tous ces écrits, quel est le nœud central? À cette question Paz répond: «La recherche de l’unité n’est qu’une illusion.» Ses livres sont autant de fragments d’une totalité qui se reflète en chacun d’eux, et qui trouve son image idéale dans la voix du poète, où se mêlent «... la voix du silence et celle du tumulte, la folle sagesse et la folie sage, le murmure confidentiel dans l’alcôve et la houle des foules sur la place publique. Entendre cette voix, c’est écouter le temps même, le temps qui passe et qui, pourtant, revient, transfiguré en quelques syllabes cristallines». Sans doute est-ce l’écoute et l’infinie poursuite de cette voix venue de partout et de nulle part qui constituent «le lieu et la formule» de toute l’œuvre d’Octavio Paz.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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